publication par Le CONCOURS pluripro, le magazine de l’exercice coordonné
Paru le 11 février dernier, le rapport de l'Igas sur l'évaluation du modèle économique des centres de santé pluriprofessionnels formule 20 pistes visant à soutenir ces structures. La Fédération nationale des centres de santé et l’Union syndicale des professionnels des centres de santé réagissent à ces constats et recommandations. Une tribune, adressée au ministère de la Santé et à la Cnam, que nous vous livrons telle quelle.
"L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a publié, le 11 février dernier, un rapport sur 'le modèle économique des centres de santé pluriprofessionnels'. Attendu depuis plus d’un an, ce rapport met en lumière leur rôle crucial dans l’accès aux soins, notamment en zones sous-dotées. Pourtant, certains responsables de syndicats libéraux en tirent des conclusions biaisées, pointant du doigt la prétendue sous-productivité des professionnels de santé de ces structures. Les chiffres du rapport démontrent pourtant que l’écart de file active entre les médecins généralistes de centres de santé et les médecins généralistes libéraux est marginal…
Le rapport précise ainsi que la file médiane active de médecine générale est de 1.481 patients par équivalent temps plein (ETP) médecin généraliste en centres de santé à comparer à celle des libéraux qui est de 1.556 patients. Les généralistes libéraux travaillant en moyenne 44 h30 en consultation, selon la Drees, cela représente une file active médiane de 1.223 patients rapportée à 35 heures, temps de travail d’un médecin à temps complet en centre de santé.
Côté nombre d’actes, rapportés à 35 heures de travail par semaine, ce sont 4.226 actes annuels qui sont réalisés en CDS, contre 3.894 en libéral.
Ainsi, une comparaison à temps de travail équivalent montre que la productivité des CDS n’est pas moindre. Le rapport lui-même met en garde contre les interprétations hâtives. Il souligne et rappelle aussi que les CDS accueillent une patientèle significativement plus précaire et socialement vulnérable, que 80% d’entre eux accompagnent les patients dans leurs démarches administratives et garantissent l’accès aux soins via le tiers payant intégral, et qu’ils sont également impliqués dans des actions de prévention et de coordination des soins, activités non mesurées en volume de consultations ou d’actes.
Le modèle des centres de santé est, par ailleurs, décrit dans ce rapport comme un modèle à soutenir, pas à affaiblir. Les CDS offrent une approche globale du soin, en mobilisant des équipes pluriprofessionnelles et pluridisciplinaires (infirmières, infirmières en pratique avancée, psychologues, médiateurs…). Cette organisation participe à optimiser le temps médical et favorise une prise en charge de qualité et pertinente, notamment pour les patients en situation de vulnérabilité. Cependant, ces interventions ne sont pas cotées et ne donnent pas lieu à une rémunération. Elles restent invisibles dans l’analyse purement comptable de l’Igas.
Si certaines recommandations du rapport sont à saluer – notamment la tarification alternative pour les prises en charge conjointe médecin généraliste/infirmière, et celle d’une rémunération mixte forfaitaire –, d’autres propositions inquiètent.
Le rapport préconise, en effet, de limiter le tiers payant à son volet obligatoire, une mesure qui fragiliserait l’accès aux soins des plus précaires. D’autres ne sont pas acceptables, contraires aux valeurs et missions des centres de santé mais aussi aux règles conventionnelles à l’exemple du recours au dépassement exceptionnel…
Malgré leur essor (+65 % de CDS polyvalents entre 2016 et 2022) et leur attractivité pour les professionnels, ces structures restent sous-financées. Les aides publiques sont marginales et largement inférieures à celles accordées aux professionnels libéraux, et le rapport le précise à plusieurs reprises. Pourtant, 58 % des CDS se situent en zone prioritaire et 41 % en quartier politique de la ville. Il est inacceptable que ces structures, qui garantissent un accès aux soins sans dépassement d’honoraires, ne soient pas mieux soutenues.
L’Igas souligne la difficulté financière des CDS, dont la majorité sont en déficit. Mais son analyse ne tient pas compte des facteurs contextuels en 2022, comme l’impact de la crise du Covid ou les charges liées aux mesures du Ségur. Par ailleurs, le mode de financement actuel repose sur un paiement à l’acte inadapté à des structures pluriprofessionnelles. Le rapport souligne 'la nécessité de faire évoluer le modèle de tarification vers une prise en charge coordonnée des équipes pluriprofessionnelles'.
Les attaques contre les centres de santé ne doivent pas nous détourner des combats essentiels pour l'accès aux soins et que nous devons mener ensemble, libéraux et salariés
Pour un modèle durable et pour leur permettre de participer à relever les défis des soins primaires et de santé publique, la FNCS et l’USPCS appellent à une refonte du modèle de financement des CDS, articulée autour de quatre axes :
- Valorisation du travail en équipe : financement de la coordination et de la pluridisciplinarité à son juste coût ;
- Rémunération mixte : introduction d’un financement à la capitation pour les centres volontaire ;
- Soutien renforcé : aides financières et organisationnelles équivalentes à celles des libéraux, simplification des dispositifs de financement ;
- Valorisation financière de la prise en charge des publics vulnérables.
Sans oublier le financement des actions de prévention, des missions de service public et populationnels des centres de santé à la hauteur de leur engagement…
Nous soulignerons que les attaques de quelques dirigeants de syndicats libéraux contre les centres de santé à l’occasion de la parution de ce rapport ne doivent pas nous détourner des combats réellement essentiels pour l'accès aux soins de tous et que nous devons mener ensemble, libéraux et CDS. La limitation du secteur 2, qui crée des barrières financières pour de nombreux patients, ou encore le contrôle des dérives de la médecine esthétique, de la télémédecine, de la financiarisation qui détournent des ressources médicales au détriment de la prise en charge des pathologies prioritaires, sont par exemple les sujets sur lesquels nous pourrions collectivement travailler.
Mme la ministre de la Santé, M. le ministre, M. le directeur de la Cnam, il est urgent d’apporter aux centres de santé les moyens nécessaires à la poursuite de leurs missions et à leur développement. Leur rôle dans l’accès aux soins et la prévention est trop important pour être ignoré."